LA QUERELLE DES BOUFFONS
Aix en Provence le 25 juin 2011
Conférence de Bruno STREIFF
Petites causes, grands effets, ainsi pourrait-on qualifier la « Querelle des Bouffons ». Au départ, un simple conflit musical autour de la Serva Pardone de Pergolese. En fait, une mise en cause de la Musique Française, considérée comme plus éloignée de la « nature humaine » que la musique italienne. Les Encyclopédistes prendront parti en faveur de cette dernière. Mais si la musique doit se conformer à la « nature humain »e, on peut exiger la même chose d’un système politique. La démocratie, pouvoir du peuple, se voit donc revendiquée au détriment de la monarchie.
Peu à peu, la Querelle des Bouffons va prendre toute sa place dans la lutte idéologique prérévolutionnaire. Rousseau et Diderot s’en feront les porte-paroles. Comme il s’agit aussi de libérer la musique des sujets mythologiques et religieux, elle creuse au fil des années le sillon menant à un art de plus en plus laïque. En somme, une querelle esthétique devient une querelle éthique.
Présentation
De l’Italien, » buffone » qui désigne une personne dont le rôle est de faire rire. Ici plus particulièrement dans l’expression lyrique de l’opéra.
Une querelle autour de l’opéra, divertissement de cour particulièrement apprécié au XVIII° siècle, laissera-t-elle entrevoir une aspiration à la liberté du peuple ?
Aspiration de sujets à devenir citoyens ?
A l’occasion de la présentation de » La Serva Padrona » à Paris en 1752, tenants de la musique italienne contre ceux de la musique française s’affrontèrent à travers de nombreuses brochures, et des échanges littéraires qui permirent aux gens de lettre d’exprimer, sous couvert de pamphlets, leurs aspirations et leurs préoccupations profondes, à la fois politiques et philosophiques.
Autour du roi, Louis XV, les nostalgiques du règne de Louis XIV et des valeurs issues de cet héritage, dont de nombreux prêtres, s’attachaient à défendre tout ce qui symbolisait pour eux la monarchie absolue du Grand Siècle, et le goût témoigné pour l’opéra italien par ses partisans fut alors perçu par ces traditionnalistes comme une véritable révolution.
En face de ces hommes, occupant souvent de hautes fonctions, autour la Reine Marie, les partisans de la musique des Bouffons faisaient preuve de progressisme en aspirant à une évolution des valeurs instituées. Parmi eux : Rousseau, Grimm, Diderot, et bien d’autres, dont un des critiques de l’époque disait que ce » camp faisait songer à une République » et laissaient paraître une aspiration au renoncement à la monarchie. Tous connus pour leur engagement contre les oppressions religieuses, morales et politiques, ils contribuèrent, comme on le sait » à renverser les barrières que la raison n’aura point posées; » et à l’avènement de la Révolution.
Pendant ce même temps, se fait jour un désir de voir la musique et les arts en général, rechercher leur inspiration en dehors des thèmes religieux ou mythologiques et donner naissance à une créativité plus libre, plus humaine, plus laïque pour tout dire.
Ainsi la querelle de l’opéra dégénéra et prit l’aspect d’une véritable guerre civile, renvoyant au second plan les évènements politiques tels que » les brouilleries du Parlement avec la Cour « . Particulièrement, les échanges de lettres entre Rousseau et Grimm témoignent avec force de leurs critiques envers la monarchie régnante.
Prémices de la Révolution ? » En tous cas, elle n’est pas loin « ….
C’est ce que notre conférencier, Bruno Streiff, metteur en scène d’opéras, musicologue averti nous exposera lors de la conférence, Salle des États de Provence, le 25 juin et qu’il illustrera de morceaux choisis du répertoire lyrique.
Compte-rendu
La culture, dont la connaissance des arts, permet de mieux appréhender l’histoire de la laïcité en France : fruit de nombreux courants de pensées, d’une lente évolution et de démarches ponctuelles ou concertées au fil du temps, la liberté de conscience s’est subtilement exprimée depuis longtemps dans la peinture, la musique, les lettres.
Apparemment, simple conflit musical autour de la Serva Padrona de Pergolèse en 1752, en fait une mise en cause de la Musique Française de l’époque, par rapport à la Musique Italienne, qui introduisit au théâtre des intermèdes comiques empreints de légèreté. Ce conflit servit de prétexte à une critique insidieuse du gouvernement de Louis XV au travers d’échanges épistolaires, dont ceux des Encyclopédistes.
En effet, peu à peu, la » Querelle des Bouffons » donna lieu à de nombreux pamphlets satiriques qui, sous couvert d’une querelle musicale, vont laisser transparaître une réelle aspiration à la démocratie et à la liberté et prendre ainsi toute sa place dans la lutte idéologique prérévolutionnaire. Rousseau et Diderot s’en feront les porte-parole.
Comme il s’agit aussi de libérer la musique des sujets mythologiques et religieux, elle creuse au fil des années le sillon menant à un art de plus en plus laïc. Sillon pour l’art, mais aussi préfiguration de l’agitation qui va mener à la Révolution dont l’avènement marquera pour longtemps la mémoire des Aixois et s’inscrira dans l’histoire de la salle des États de Provence. C’est ce que Bruno Streiff nous exposa au cours de sa conférence musicale, nous faisant apprécier non seulement des extraits des opéras de l’époque, dont celui de Pergolèse et ceux de Jean Philippe Rameau qui s’opposa avec force à la musique italienne, mais en nous faisant aussi lecture de certains pamphlets écrits à l’époque, en particulier par Rousseau. Le débat qui s’en suivit fut riche en interventions et notamment celles qui soulignèrent l’apparition de la révolte sourde des » sujets » contre le pouvoir absolu du roi dans tous les domaines y compris celui de la vie privée, dont la religion. Fut également évoquée l’inclination actuelle du » pouvoir économique » à régenter les formes artistiques populaires contemporaines. Ancien enseignant de lettres, Bruno Streiff est aujourd’hui metteur en scène d’opéras. Après des débuts comme assistant de Jean-Pierre Ponnelle (Festival de Salzbourg, Opéras de Paris, de Munich, de Cologne), il réalise ses propres mises en scène en France, en Suisse, en Italie, en Belgique et en Bulgarie. Sa grande érudition et sa parfaite connaissance de l’opéra nous permirent d’apprécier toutes les finesses de différentes interprétations de mêmes œuvres. Également auteur de plusieurs romans et ouvrages historiques, il intervient aussi comme conférencier sur l’histoire de la mise en scène, l’histoire de l’art, la solidarité, la laïcité et les combats pour la culture. Un beau et bon moment pour les amateurs d’opéra et pour tous ceux qui s’intéressent aux prémices de Révolution et donc de la laïcité en France.