Tous ensemble ! Tous ensemble ! Ouais !

 Texte de la pièce « Tous ensemble! Tous ensemble! Ouais! »

Copyright by De Césare Michelle / Durbec Jacques / Vinciguerra Raymond / Yven Jean-Noêl / Observatoire de la Laïcité du Pays d’Aix 2005.

Noir. Bruits de gare, annonces par haut parleur dans différentes langues.
Eclairage général de la scène : un quai de gare, deux panneaux publicitaires encadrent un banc.

1° panneau : « La laïcité c’est vivre ensemble »
2° panneau : « Venez rejoindre les élus de Tokamo » (Tokamo est représenté sous forme de totem il est entouré de gens, bras croisés sur la poitrine)
Ces panneaux sont éteints.

 Entrée du SDF, il se prépare pour la nuit, va s’installer sur son banc.
Au moment où il va s’asseoir, les panneaux s’éclairent.

Le SDF – Oh ! C’est déjà l’heure, ils éclairent tôt aujourd’hui, et après, on nous parle d’économie !
Il regarde les panneaux, 1° panneau : « La laïcité c’est vivre ensemble » ; 2° panneau : « Venez rejoindre les élus de Tokamo »
Il s’approche
Voyons voir leur pub. Qu’est ce qu’il y a aujourd’hui au menu ?
L’art de vivre ensemble, d’accord !… j’ t’en foutrai du vivre ensemble ! j’ suis un exclu …
Rejoignez les élus… J’serai jamais élu …J’ suis un exclu, …et d’abord j’fais pas de politique !….
Il retourne vers son banc, se ravise, vient relire plus attentivement :
Tokamo ? Ah ! Les élus de Tokamo, … non merci, pas pour moi !
Il rit de bon cœur.
Je leur laisse leurs croyances et surtout qu’ils me laissent mon indépendance.
Il se rassoie. Il a des rites très précis d’installation, de rangement de son maigre bagage…Pendant tous ces préparatifs, entrée, allers et retours de la bourgeoise.

LA BOURGEOISE – Elle est habillée d’une tenue (mi sac, mi ballon) qui dissimule les formes, couleur grise, un parapluie à la main. Elle s’avance vers le SDF comme si elle voulait demander un renseignement, découvre la qualité du SDF. Temps d’arrêt, pour se donner une contenance. Elle tourne le dos au SDF, cherche dans son sac trouve des billets qu’elle remet en hâte dans le sac et en cherchant longuement, elle trouve une toute petite pièce qu’elle va tendre solennellement au SDF sans même le regarder.
Tenez mon brave.

LE SDF – Je n’ fais pas la manche, Madame ! Reprenez votre pièce, on ne m’achète pas moi !
Il rit
Vive la liberté !

LA BOURGEOISE – Elle reprend sa pièce, elle est offusquée et vexée.
Oh ! ça alors ! Oh ! C’est trop fort ça ! Mais, ne vous fâchez pas, Monsieur, je ne cherchais qu’à être charitable !
Elle se tourne vers l’affiche de Tokamo, regard inspiré, ton de prêche.
Charitable, comme me l’ont enseignés les préceptes de ma communauté.

LE SDF – Ah bon !
Il se lève
Ne voyez-vous pas que votre charité n’est que de la pitié ! Si vous aviez un désir de justice, vous seriez solidaire.

LA BOURGEOISE – Fort agitée, agacée
Décidément, vous ne comprenez rien, c’est avec des individus comme vous que la société perd ses repères !

LE SDF – Ironique et désabusé
Ben voyons !
Provocateur il boit une gorgée de vin au goulot
A votre santé, Madame !

LA BOURGEOISE – Elle hausse les épaules, exaspérée. Elle va pour sortir, marque un temps d’arrêt devant le panneau sur la laïcité, fait le tour du panneau, resurgit de derrière le panneau. Elle montre le panneau du doigt, ton outré et révulsé.
Comment ose-t-on afficher de telles impiétés dans des lieux publics ! Au regard de tous ! Ces gens là veulent la mort de la dévotion !

LE SDF – Il reste assis la regarde, incrédule.

LA BOURGEOISE – S’adressant au SDF sur un ton de prêche
Mais ne me regardez pas comme ça ! Que deviendrait la société sans les règles morales que nous apporte la doctrine, Monsieur?Elle, s’enflammant jusqu’à l’hystérie, s’exalte au point de finir sa harangue à genoux
La confusion, Monsieur ! Le chaos, Monsieur ! C’est Tokamo qui guide et protège l’humanité, Monsieur ! C’est Tokamo qui nous ouvre les portes de la sérénité éternelle, Monsieur ! Tokamo est amour, Monsieur !
Elle tombe à genoux, elle cherche ses mots sous l’emprise d’une grande émotion
Tokamo …Tokamo …

LE SDF – Il revient vers elle, toujours à genoux. Il est très calme.
Oh, oh, on se calme, ma p’tite dame, on se calme… Les infarctus ça peut tuer à votre âge !
Il lui tapote la main, la fait s’asseoir à côté de lui sur le banc, il lui tend la bouteille, se ravise.
Mais, au fait, Madame, c’est qui ce Tokamo, dont vous vous gargarisez (Ironique )…c’est qui au juste ?

 LA BOURGEOISE – Outrée
Quoi ? Mais, je parle de Tokamo ! Le seul et unique Tokamo !
Elle se lève vivement, face au public, bras écartés, pathétique.
Notre Créateur ! Il n’y en a qu’un ! Il est universel ! Il n’y a qu’un Maître ! Il est la Vérité, il n’est que Vérité ! Comment peut-il exister d’autres espérances, …ceux qui croient en Makota sont dans la plus noire hérésie !
Elle brandit son parapluie comme si elle partait pour une croisade. Le parapluie s’ouvre par inadvertance.

LE SDF – Amusé
Mais il ne pleut pas !

LA BOURGEOISE – Elle referme le parapluie rageusement.

LE SDF – Allons, calmez-vous, ma p’tite dame. Allez, pour me mettre au parfum, moi, je veux bien que vous m’expliquiez,… quelles sont les différences entre Tokamo et Makota ?

LA BOURGEOISE – Mais, mais, mais… elles sont essentielles, Monsieur,
Elle tend son parapluie vers lui et l’agite tel un sabre.
Makota n’est qu’un usurpateur ! Un dissident, un imposteur ! Une caricature, une parodie, un charlatan ! Un escroc, un pirate, un pillard ! Un … Alors que Takoma n’est qu’amour …
Elle cherche d’autres justifications

LE SDF – D’abord étonné et sans voix, il fait silence, puis éclate d’un rire tonitruant
Ah les certitudes !
Il s’approche d’elle, elle a son parapluie serré contre sa poitrine, il la prend gentiment par les épaules
Mais dire que vous parlez d’amour alors que votre sectarisme mène tout droit à l’intolérance, ma p’tite dame ! Et les guerres de religions, passées et présentes ne vous ont pas encore fait réfléchir ?
Il s’écarte d’elle, crie depuis l’autre côté de la scène 
Sous couvert d’une Vérité universelle … vous ne faites qu’imposer votre vérité … Que faudrait-il faire pour que cela cesse ?

 LA BOURGEOISEInterloquée et choquée
Oh !
Elle va pour sortir, croise le technocrate, jeune homme d’affaire, costume sombre 3 pièces, attaché-case d’une main, portable dans l’autre.
Ils s’arrêtent tous les deux, se dévisagent, puis continuent leur chemin.

Le SDF va se rasseoir. La bourgeoise se ravise et revient sur scène.
Elle interpelle le technocrate contre toute règle de bienséance
Monsieur ! Oui, vous Monsieur ! Vous qui êtes un homme respectable, vous qui avez visiblement foi en Tokamo…

LE TECHNOCRATE – Il regarde autour de lui pour vérifier que c’est bien à lui que l’on s’adresse
Qui, moi ? Pardon, Madame, c’est à moi que vous parlez ?
Il regarde l’affiche 
Vous plaisantez, Madame ! Moi, croire en cette idole !
Il éclate de rire 
Sachez que je suis un scientifique, Madame, … sachez qu’à ce titre je ne crois qu’en ce qui est scientifiquement et rationnellement démontré ; quant au reste ce n’est que superstition.
Il arpente la scène, ton doctoral, index levé
Si vous ne pouvez scientifiquement démontrer l’existence de cette divinité, alors c’est qu’elle n’existe pas ! C’est aussi simple que ça !

LA BOURGEOISE – Atterrée – Le ton d’exaspération est modulé et passe par tous les états (effet comique)
Oh Monsieur ! Monsieur ! Monsieur !

 LE TECHNOCRATE – Il est interrompu par la sonnerie du portable, il répond, fait les cents pas, fouille dans sa mallette pour prendre un document, répond 
Oui, oui … Non … Non !… Oui … Le CAC 40 est en hausse,… oui, ça aussi c’est confirmé mon cher Ghislain… Les Chinois ! Mais oui bien sûr …mais aussi la coalition du Mercosur …
Longue écoute de son interlocuteur, ponctuée de signes d’intérêt. Il tourne le dos aux personnages, se cache, parle plus bas :
Ah oui ?… Ah bon, elle est si mignonne que ça ?… Il faut que je la vois … C’est comment son prénom ?…
Fort :
Oui mon vieux, tu trouveras ça sur le Net … Les parts de marché du Nasdac varient favorablement …Tout va dépendre de la prochaine réunion du G7 …. Oui ! C’est le problème des dettes non re-structurables envers les multilatéraux …. Mais le marché va bien tu sais, tu peux dormir tranquille …
Bas :
Alors, cette Pamela, cette petite, c’est pas une farouche, … c’est plutôt une bonne nouvelle ! Essaye de nous l’amener au prochain séminaire de Château Champigny …
Fort :
Bon je te quitte, à demain ! Mes respects au Président.

LE SDF – En aparté à la bourgeoise
Ah !Il est bien ! Ah ! Il est bien, le jeune homme « respectable » !
Rire moqueur

LE TECHNOCRATE – Il range son téléphone et reprend la conversation avec la bourgeoise d’un ton toujours doctoral.
Sachez que les croyances en une divinité ont maintenu notre humanité dans l’obscurantisme. Partant de ce constat, la société doit évoluer et la science seule, je dis bien la science seule… peut le permettre.
Il s’enflamme jusqu’à l’hystérie reprenant par là le ton précédant de la bourgeoise.
Mais Madame ! Madame ! Voyez les progrès fantastiques de la technologie qui nous permet toujours plus de communications, plus de connaissances, plus de confort, plus de liberté, plus le d’efficacité, plus de bonheur, plus de….

LE SDF – Debout sur le banc, il l’interrompt et sur le même ton que le technocrate
… Plus de chômage, plus de guerre, plus de besoins, plus de frustrations, plus d’exclus…. Et j’en passe et pas des meilleures.

LE TECHNOCRATE – Toujours le doigt en l’air, il se retourne et découvre le SDF, il est étonné.
Parce que vous, mon brave, vous défendez la croyance peut-être ?

LE SDF – Saute du banc, prend le technocrate par les épaules, très paternaliste
Défendre le culte ? Mais non, jeune homme ! Mais non, mais votre sectarisme, votre foi irraisonnée, oui, votre foi irraisonnée en la science vaut l’intolérance de la jolie madame. Car, que vaut une science sans conscience ?
Mimique d’incompréhension du technocrate.
Allons, si vous ne comprenez pas, c’est que vous ne valez pas mieux qu’elle !
Il le pousse vers la bourgeoise, le technocrate se recroqueville comme s’il était au piquet.
Je vais vous dire, moi, vous poursuivez le mythe de la science exacte toute puissante,
Il ressaute sur le banc
Et c’est quoi la réflexion philosophique que vous mettez derrière vos doctrines ?
Il s’allonge sur le banc. Le technocrate et la bourgeoise se sont écartés, ils sont derrière le panneau en fond de scène sur l’autre voie. On entend de la musique, une chanson rap aux paroles hostiles à la société.

LE RAPPEUR – entre, walkman sur les oreilles, il danse au rythme de la chanson et chante des bouts de phrase
– Contre la société !
-À bas La police !
-Pas d’arrangement…
-Tous pourris !

LE SDF – De plus en plus fort, jusqu’à hurler.
-Oh petit ! -Oh petit ! -Oh petit !
Le rappeur fini par l’entendre et enlève son walkman
Ça te plaît ce que tu écoutes ?

LE RAPPEUR – Oh ouais , il déchire sa race, ce groupe !
Il s’assoit sans façons à côté du SDF
Moi, j’suis d’accord avec c’qu’ils disent. Moi, j’suis d’accord, tous pourris, la politique, tous pourris, les lois, la société !

 LE SDF – Conciliant
Ah bon ! Bien, bien, bien …

 LE RAPPEUR – Moi, j’veux faire c’que j’veux , moi, c’est pour ça que j’veux d’la tune !

LE SDF – Désabusé
Ah bon ? Bien, bien, bien …

LE RAPPEUR – Ouais ! J’veux plein de tunes, et alors, après, … après, on verra !

LE SDF – Approbateur
Ah bon ! Bien, bien, bien …

LE RAPPEUR – Il sort une bombe de peinture de son sac et se prépare à taguer l’affiche de Tokamo avec une attitude d’artiste.

LA BOURGEOISE – Surgissant de derrière le panneau
Sacrilège ! Espèce de bandit ! Petit vaurien…
Brandissant son parapluie, elle contourne le panneau et viens lui taper sur la tête. Se tournant vers le SDF et le technocrate, elle crie, le souffle court à cause d’un stress intense
Vous voyez ! …Vous voyez, … à quoi ça mène le manque de … dévotion !

LE SDF Il se redresse et s’assoit sur le banc
Dis, petit, il faudrait que tu m’expliques…Tu as dit on verra, mais, on verra quoi ?

LE RAPPEUR – Il s’est écarté hors de portée de la bourgeoise. Son portable lui signale un message. Pendant qu’il parle, il pianote sur son portable, il lit des messages ou envoie des textos.
Chais pas moi, M’sieur, avec les potes, on va s’envoyer en l’air, M’sieur, s’ faire des sensations. Tout ça quoi ! Tout acheter, quoi ! Avec de la tune, t’achètes tout !… Acheter tout, …des fringues, …des DVD,… des chichons. Tu t’éclates, quoi !
La bourgeoise et le technocrate sont éberlués, manifestement ils ne comprennent rien. La musique rap remonte pendant quelques instants, puis le rap cesse et bascule en musique céleste.
La lumière baisse ne laissant que le rappeur éclairé qui continue à pianoter sur son portable. Lumière sur l’affiche de Tokamo, musique et voix des élus en écho, ambiance cathédrale.
Tous les personnages sont figés sauf le SDF qui secoue la tête pendant l’annonce.

LES ELUS DE TOKAMO – Voix sépulcrales.
Tokamo … Tokamo … Tokamo …Viens vers nous. Rejoins le monde des élus, viens répandre notre lumière sur la planète.
A la fin, viens combattre à nos côtés pour un monde plus juste. Par ce combat, tu rachèteras ta vie sur Terre et tu accéderas à l’Eden pour l’éternité … Viens libérer l’humanité de son ignorance. Nous devons convertir l’Univers pour Tokamo …

 LE SDF – Tiens, drôle d’annonce publicitaire aujourd’hui, jusqu’où vont-ils aller ?

 LE RAPPEUR – Pendant que les « élus de Tokamo » s’adressent à lui, il se retourne, surpris, il écoute, hypnotisé. Il s’avance vers l’affiche jette son walkman par terre et se croise les bras sur la poitrine, il est séduit.
La lumière normale revient, le rappeur va rester hypnotisé.
Entre une jeune femme, tenue très colorés, tailleur à la mode et de bonne coupe. Elle est sûre d’elle.
Elle jette un regard rapide et détaché à tout le monde ainsi qu’aux affiches.
Elle sort une cigarette de son sac et l’allume nonchalamment.
Regard outré de la bourgeoise qui s’assoit au bord du banc, regard égrillard du technocrate.
Le technocrate cherche à engager la conversation avec la « femme libéré »..

LE TECHNOCRATE –  Gauche et coincé, bouche en cul de poule
Excusez moi, je crois qu’on se connaît …

 LA FEMME LIBÉRÉE – D’un ton glacial
Je ne crois pas !

LE TECHNOCRATE– Vous voyagez pour vos loisirs ?

LA FEMME LIBÉRÉE – Tire une bouffée sur sa cigarette et souffle la fumée au nez du technocrate qui tousse.
Non, pour mon job, je suis directrice des ventes chez Smith et Parker.

LE TECHNOCRATE – Oh ! Une femme si jeune et si charmante !

LA FEMME LIBÉRÉE – Très fière.
Oui, je suis le numéro deux de l’entreprise.
Elle tire sur sa cigarette et envoie à nouveau la fumée au nez du technocrate

 LE TECHNOCRATE – Regard étonné et admiratif, il tousse à nouveau
Une femme, une femme à ce poste de responsabilité ?
Et, vous êtes mariée, vous avez des enfants ? Un petit ami ?

LA FEMME LIBÉRÉE – Ça ne vous regarde pas, cher Monsieur ! Oui ! Une femme à un poste de responsabilités, ça n’a pas été simple, je me suis battue pour en arriver là où je suis.
Elle cherche un cendrier, n’en trouvant pas, elle jette la cigarette à peine entamée qui tombe aux pieds du SDF. Ce dernier s’en empare et fume le mégot avec délectation. La bourgeoise est de plus en plus outrée..
Quoi qu’on en dise, l’égalité homme femme dans notre société n’est pas encore évidente.

LE TECHNOCRATE – Voulant s’attirer les bonne grâces de la femme libérée, d’un ton doucereux.
Et sachez que nous avons fait voter la loi sur la parité ! (Mensonge évident, air navré) Fort heureusement !

LA FEMME LIBÉRÉE – J’ai fait ma place à la force des poignets !

 LE TECHNOCRATE – Et avec votre élégance, votre disponibilité et votre charme, je suppose que…

 LA FEMME LIBÉRÉE – Regard agressif, elle le coupe d’un ton insistant pour bien faire comprendre au technocrate que ce message lui est destiné
… c’est une lutte de tous les instants pour parvenir à se faire respecter par la gent masculine.
Le harcèlement sexuel, vous connaissez ?

LA BOURGEOISE – Elle bougonne depuis son banc, d’une voix aigre et d’un ton de mépris
Pff, La place de la femme est à la maison pour élever ses enfants au lieu de chercher à faire une… carrière.

LE SDF – Ben voyons !

LA BOURGEOISE – Elle se lève et s’adresse au technocrate. Le SDF en profite pour se rallonger sur le banc
Ces jeunes femmes ne respectent même pas les fondements de la cellule familiale. Pire ! Elles l’a détruisent !

LE SDF – Ben voyons !

LA FEMME LIBÉRÉE – Elle découvre la bourgeoise, la regarde.
Madame, mais vous parlez de moi si je ne m’abuse ? Pour moi, vos principes datent du Moyen-Age et je revendique l’égalité homme femme. Nous, les femmes, devons pouvoir nous épanouir au même titre que les hommes.

LA BOURGEOISE – coléreuse
Qu’est ce qu’il ne faut pas entendre !

LE TECHNOCRATE – Il s’interpose
Madame, voyons,… je vous en prie !…

LA FEMME LIBÉRÉE – Sèchement
Je ne vous donne pas le droit de m’imposer votre point de vue.

LE SDF – Ah, ça c’est sûr !

LE RAPPEUR – Il sort de son attitude d’élu. Sur un air de rap:
-J’hallucine !
Oh, la meuf ! Tu t’es vu !
Avec tes fringues,
Tu chauffes les keum,
T’étonnes pas de te faire chébran !

LA FEMME LIBÉRÉE – P’tit con ! Tu voudrais peut être que je suive les principes imposés par Tokamo, les femmes habillées en gris, déguisées en passe muraille ? Anonymes et muettes ?…
D’un air provoquant se tournant vers le technocrate.
Que je n’existe pas en tant que femme. !

 LE SDF – Il se rassied.

 LA FEMME LIBÉRÉE – Face au public
Depuis la nuit des temps, des principes malsains ont maintenu la femme dans l’idée du péché et de l’impureté. Nous sommes au vingt et unième siècle que diable ! Les droits de la femme existent !

LE SDF – Ah ! Ça commence à devenir intéressant !

LA FEMME LIBÉRÉE – Elle prend un ton calme et posé, convaincant, et passe en revue tout le monde.
Au technocrate :
-Je veux pouvoir dire oui, …
A la bourgeoise
-Je veux pouvoir dire non, …
Au SDF
-Je veux penser plus haut, …
Au rappeur
-Agir mieux, …
Au public
-Je veux vivre en liberté et imaginer avec les autres.
Silence général tous se regardent un peu perturbés

LE SDF – Il se lève, face au public. Il prend un air bonhomme.
Mais moi, je vais vous dire : elle a raison. ! Parce que chacun a la liberté de vivre comme il l’entend. Mais attention… en accord avec les principes humanistes, car l’homme est la mesure de toute chose. Et on en a du boulot ! … Parce qu’il faut trouver le moyen de vivre ensembles, de vivre en bonne entente, de cohabiter paisiblement. Et ça,…c’est pas gagné !
On entend des bruits de manifestation qui se rapprochent :

-Tous ensembles ! Tous ensembles ! Tous ensembles ! Ouais !…
Tous les personnages en scène se regroupent, interloqués.
Entre, comme une furie, une femme d’âge mûr, une pancarte à la main : c’est la militante. Elle fait plusieurs fois l’aller et retour sur scène

-Tous ensemble ! Tous ensemble !….
Elle se retourne, cherche le reste des manifestants, s’aperçoit qu’elle est seule, se dirige vers le groupe

LA FEMME LIBÉRÉE – D’un ton pernicieux
Vous étiez à la manif ?

LA MILITANTE – Arrogante
Oui, on manifeste pour la Laïcité ! Pour la défense et la sauvegarde de la Laïcité.
Elle continue à brandir la pancarte en la secouant de haut en bas.

La bourgeoise va se cacher derrière un des panneaux mais petit à petit, gagnée par la curiosité elle va revenir.

Le technocrate s’éloigne, dépité, après avoir évalué la manifestante, définitivement non « draguable ».

 Le SDF est hilare.

LE RAPPEUR-   reprend son attitude d’élu
Tokamo… Tokamo… Tokamo….

LA FEMME LIBÉRÉE – La laïcité ? Mais, dites moi, c’est quoi pour vous la laïcité ?

LA MILITANTE – Encombrée par sa pancarte, elle la met de force dans la main de la bourgeoise, qui, n’osant plus bouger, va la tenir, le reste de la scène. Elle pousse le SDF et monte sur le banc. Ton suffisant et docte :
 Ecoutez moi bien, en vérité, je vous le dis, je veux lutter contre les dogmes….

 LE SDF – Ben voyons, celle là, on me l’a déjà faite !

LA MILITANTE – Mais non, mon ami, parce que moi, je suis profondément anticléricale !

LE SDF – Ben voyons, allons y gaiement !

LA MILITANTE – Le mot spiritualité me fait littéralement bondir !

LE TECHNOCRATE – Exact, Madame ! …

LA MILITANTE – Il faut lutter ! Lutter contre l’endoctrinement. !

LE RAPPEUR – En position d’élu, il ouvre les bras tel un prêtre, il est illuminé
Vous croyez ?

LA MILITANTE – En désignant l’affiche de Tokamo
Regardez !
Elle saute du banc
Vous voyez ça ? Comment des gens raisonnables, des gens rationnels peuvent-ils croire en toutes ces sornettes ? Nous devons interdire ce type de communication !

LA FEMME LIBÉRÉE – Violente et spontanée
Alors là, Non ! Il est interdit d’interdire !
Elle se place devant la militante et sur un ton calme et accusateur.
En somme, si je vous comprends bien, et pour faire court, … vous voulez combattre un intégrisme par un intégrisme !

LE SDF – Ça, c’est plutôt bien dit

 LA FEMME LIBÉRÉE – Inquisitoriale dans sa démonstration.
Combattre une doctrine par une doctrine et combattre une chapelle par une chapelle !

LA BOURGEOISE – Là, vous exagérez !

 LA FEMME LIBÉRÉE – Je pense que vous faites erreur sur ce qu’est la laïcité. Ce n’est pas ça la laïcité !

LE SDF – Enfin une bonne approche,… ça nous change un peu ! J’en ai tellement entendu sur la laïcité. C’est pourtant simple ! Et si on laissait aux personnes leur libre arbitre quant à leur foi ?

LA BOURGEOISE – Mais enfin, mon brave, tout le monde devrait avoir la foi. !

LE SDF – Oui, ma p’tite dame. Oui, … mais la foi qu’ils veulent ! Ça s’appelle la liberté de conscience, et ça… ça fait partie de la sphère privée. La seule chose à exiger, la seule, … c’est la séparation de la sphère privée… et de la sphère publique.

LE TECHNOCRATE – Mais, Monsieur, sachez que cela est déjà fait légalement, … depuis 1905 !

LE SDF – Mais oui, mon jeune ami, …mais, prudence et vigilance, un dérapage est si vite arrivé. Au nom de la liberté et de l’unité des peuples, il faut refuser toute emprise dogmatique sur la puissance publique.

LA MILITANTE – Bravo, je n’aurai pas dit mieux !

LE SDF Il se lève et se redresse
Sauf votre respect, avec un bémol cependant : il faudrait qu’on puisse être athée sans passer pour un scélérat et croire en un dieu sans être traité d’imbécile.

TOUS – À l’unissons
Mais enfin…

 LE SDF – Péremptoire
Et c’est ça, la laïcité !

TOUS – Assommés
Ah bon !

LE SDF – Solennel mais avec beaucoup de bienveillance
Nous vivons dans une République indivisible, laïque, démocratique et sociale, du moins, je le crois et je l’espère. C’est pourquoi, nous avons le devoir impératif de citoyen de sauvegarder la liberté de conscience et l’égalité de tous devant la loi, sans distinction…
S’adressant à la bourgeoise :
…d’origine, ma p’tite dame…
S’adressant au rappeur :
…de race ou de condition, Petit
S’adressant à la militante :
…ou de religion, très chère Mademoiselle.
Pendant qu’il parle on entend des bruits de trains à vapeur et de TGV qui entrent en gare.
Le SDF reprend son rituel de préparation du banc pour la nuit
Tous se préparent à partir : ils vont en fond de scène sur l’autre quai, ils sont de dos et vont prendre leurs trains respectifs

Le SDF va pour s’allonger, la femme libérée revient, se place entre le banc et le panneau :

LA FEMME LIBÉRÉE – Vous croyez qu’ils nous ont entendus ? Vous croyez que nous les avons convaincus ?

LE SDF – Hé, oui, ma jolie, la route est encore longue, …mais une petite graine a été semée et peut-être germera-t-elle chez certains. Encore faut-il continuer à l’éclairer et à la protéger, encore et encore et encore…
Bruits de gare tout est dans la pénombre sauf le panneau sur la laïcité
Il regarde le panneau d’un air dubitatif. Il s’allonge, tire à lui sa couverture
Voyez ma jolie, le vivre ensemble est possible,… la tolérance en est l’assise.
La lumière baisse progressivement.

Noir.

 

 

 

 

 

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